vendredi 4 mars 2011

« L'anarchie est la formulation politique du désespoir »
ou

« Introduction à l'anarchie »

(Le Monde Libertaire, janvier 1968, Editorial)

L'anarchie est la formulation politique du désespoir. L'anarchie n'est pas un fait de solitaire; le désespoir non plus. Ce sont les autres qui nous informent sur notre destinée. Ce sont les autres qui nous font, qui nous détruisent. Avec les autres on est un autre. Alors, nous détruisons les autres, et, ce faisant, c'est nous-mêmes que nous détruisons. Cela a été dit; il importe que cela soit redit. Le Christ, le péché, le malheur, le riche, le pauvre... nous vivons embrigadés dans des idées-mots. Nous sommes des conceptuels, des abstraits, rien. Une morale de l'anarchie ne peut se concevoir que dans le refus. C'est en refusant que nous créons. C'est en refusant que nous nous mettons dans une situation d'attente, et le taux d'agressivité que recèle notre prise de position, notre négativité est la mesure même de l'agressivité inverse : tout est fonction des pôles. Nous sommes de l'électricité consciente ou que nous croyons telle, cela devant nous suffire. Les postulats, les théorèmes, le quid éternel qui est notre condition d'homo curiosus, tout nous porte vers des solutions d'altérité à des problèmes que nous fabriquons.! L'énoncé du problème est suspect par cela même qu'il s'exprime dans un langage conventionnel. Muller, au siècle dernier, s'inquiétait de savoir pourquoi le passé du verbe to love n'est le passé que dans le suffixe. Loved... et le passé s'étale, dramatique.! Ce n'est rien d'entendre dire : love; c'est un présent qui nous satisfait ou nous informe, simplement. Il suffit que la désinence entre dans le jeu pour que tout change, en dehors même du problème linguistique. Ce d, ce loved suscite immédiatement le regret qui est de la révolte civilisée. Tout un potentiel d'irréversibilité s'inscrit dans cette lettre qui semble conventionnelle et qui n'est que le résultat d'une longue évolution phonétique tendant vers la simplicité, vers la clarté de la parole. La grammaire soumise, il reste cet outil, ce mot faisant du passé, fabriquant une conscience, des pensées, de la mélancolie, de l'histoire. Nous ne savons pas que les conventions, qu'elles soient linguistiques, morales, religieuses, économiques, nous enferment dans le "social" comme une toile invisible qui nous met en situation de faire quelque chose, de penser cette chose comme si de toute évidence elle était une création de notre volonté de faire et de penser, alors que nous sommes la mouche prise, réduite, par une araignée qui nous observe sans nous manger. L'homme est mangé par la société mais il se réinvente perpétuellement, par une sorte de connivence inconsciente qui fait de la victime l'élan vital de son bourreau. Sans crime, point de bourreau, pardi! Ce sont les juges qui fabriquent les délinquants. Comme le dit Sartre à propos de la trahison, la répression est un crime adventice, un crime au second degré qui ne saurait montrer son visage le premier, c'est pour cela que les sociétés sont répressives : elles tuent par délégation, en second lieu ou mieux, par ricochet. Elles tuent par la Morale, aussi tranchante, mais enfermée et garantie de par la procédure. La procédure est une façon mécano-graphique de tuer son prochain.

L'histoire de l'Humanité est une statistique de la contrainte. Je ne pense pas, dans nos modes habituels de! penser, qu'il puisse y avoir une vie possible sans la contrainte. La Loi, quelle qu'elle soit - fût-elle la plus désintéressée - comprend toujours ce qui est en dehors d'elle, son contraire, l'anti-loi, ce qui est derrière la promulgation. Il y a dans la pensée du législateur des coins d'ombre où mûrissent les activités louches et nécessaires de la jurisprudence. Une loi contre la torture n'est pas une loi complète si elle ne prévoit pas la torture pour qui torture… "Pour un oeil, deux yeux ... pour une dent, toute la gueule" disait Lénine, je crois, avec un sens troublant de la métaphysique de la vengeance et de ses intérêts composés ...

Ce qui saute aux yeux et à la gorge de l'homme c'est bien cette contrainte sans quoi la société ne pourrait subsister, et c'est bien de subsistance qu'il s'agit. Cette force contraignante qui me fait m'habiller aux mieux des canons de la mode contemporaine afin de ne point forcer le rire de ceux qui me regardent, en dit assez long sur l'accoutumance du citoyen à la règle du ça se fait, ça ne se fait pas. Ce qui me hante, c'est la contrainte et pourquoi je m'y donne. Montrez-moi donc un homme dans cet univers de matricule !

La destruction est un ordre inversé. C'est la négation du Bien social que j'analyse dans la grenade amorcée. Qu'est-ce que le Bien social sinon ce qu'aujourd'hui je définis comme étant le Mal, mon Mal, ce Mal qui me bâillonne, qui me soumet. Le gonds de la porte sautés, je rentre dans la Cité, des fleurs noires à la main, et on me lynche. J'entre avec mon Bien qui devient leur supplice, leur Mal par moi donné. Je suis devenu le diable. La contrainte est cette exonération de principe qui me justifie dans ma prudente obéissance, véritable image du civisme.

J'obéis, sans ordre. J'obéis, parce que membre de cette société je m'ordonne de me taire. Il y a chez tout domestique une heureuse disposition d'esprit qui le fait se plier sans casse jamais. Les images contraignantes me sont projetées jour après jour selon des normes acquises et tellement envahissantes d'admirables techniques que le poste de réception qui me transmet les mots d'ordre est réglé pour le son et pour la juste valeur des points, des lignes, par moi. J'ai cessé de penser par moi. Chez moi, je pense ON. Le JE est défiguré par une grammaire nouvelle qui me désapprend la solitude et le courage, celui qui me met à portée de voix de la vraie vie s'est émasculé. J'ai coupé les plombs à mon courage. Je suis noir. Dehors, si je le sortais indemne; il y a fort à parier qu'on me le rapporterait avec un catalogue de pénalités. Nul droit privé, nul droit public; ce sont des mots de doctrine. Il n'est qu'un droit : pénal. Rien ne va plus dans l'obligation que je me mets sur le dos en signant au bas du contrat, sans l'assortiment prévu de contraintes pécuniaires, si je ne m'oblige pas. Pourquoi n'assure-t-on pas la contrainte ? Parce que la peine ne peut se garantir. Elle est assumée de toute éternité. J'en suis l'artisan. Si je la révoque, elle se retourne et me gifle. À genoux, je rythme la cadence des coups qu'elle me porte, sous le charme, malgré tout, du délai et de la grâce.!Dans ce Bien, dans ce Mal, je me sens étranger. Je suis un forain de la Morale. Si le Bien est femelle, le Mal laboure. Un troisième sexe m'importe davantage et c'est peut-être cela, l'indifférence. L'indifférent s'est dépossédé de son droit. Il n'invoque plus rien. Il regarde, le cas échéant, il regarde le droit : signal d'alarme, rue barrée, conscience du fait social. Je crois en une relativité juridique dès que j'ai sabordé les postulats fondant la règle de droit. Nous sommes encore des romanistes. Le Code civil est un traité pratique de droit romain revu par une séquelle révolutionnaire.! Nous ne sommes guère loin du sacramentum in rem, de l'in jure cessio, et des formules du très ancien droit qui sanctionnait telle manigance juridique. On a simplement dénigrifié les actions de la loi pour en arriver à cette tartufferie jurisprudentielle qui saute de l'article 1382 à l'article 1384 et qui inclut de la responsabilité dans une arche de béton, s'il le faut. La responsabilité des choses a mis le risque dans la gueule du chien. Le maître mord par procuration, et c'est cela la civilisation du droit : donner une pensée à la matière inerte, mettre l'homme au ras de la chose, le dépersonnaliser au point de transformer ce qu'une morale antique nommait la faute en un risque latent. Le risque c'est de la faute antidatée.

De cette machinerie dont je suis le serf, de cette incessante ingérence de mes viscères, de mon sang, de mes nerfs, de cette prison définitive où l'on m'a mis - moi, mammifère bipède - je ne me libère que par des mots. Ma pensée, régie par mes humeurs, mon imagination qui se règle sur le déjà fait, le déjà vu, me sont une tromperie supplémentaire. Mon désespoir est un désespoir chimique. Je me meurs de mourir à chaque seconde. Je n'ai de salut que dans le refus, une tromperie de plus mais terriblement suractivante.

Je suis roi de ma douleur et c'est elle qui me soumet. Au fond, la douleur serait un plaisir, n'était la démangeaison qui me la met toujours en épigraphe. Sur le livre de notre vie, un mot plein, signifiant : "Souffre!".

Le chien qui crie, un homme qui gueule, rien ne les différencie. Je me sens particulièrement "chien" à mes heures de retrait du monde. D'ailleurs, je prends mes facultés de parole. Je ne me parle jamais. Je me chante. Je me mathématique. Je me nature. Je parlerai de cette grammaire qui nous a muselés depuis longtemps. Je ne puis supporter la faute d'orthographe. La règle, à ce point ancrée, est au-dessus de la règle. Elle est transcendée, dirait le philosophe ... Et la règle se surpassant devient "moi". La morale, d'où qu'elle émane, est bien près de cette autodictature. Ce ne sont pas les tyrans qui gouvernent. Le monde c'est de l'anarchie tempérée par des règlements de solitaires et quelques barèmes policiers.

La propriété ? C'est le mot qu'il faut changer. Je suis propriétaire de mon droit de revendiquer "cette" propriété, objet de ma convoitise et dont la sanction possessive ne s'en remet qu'à l'argent qu'il me faut pour en devenir le maître, à moins que je n'aie décidé de transgresser l'ordre établi et de m'emparer par la force ou par la ruse d'un bien que je considère, de toute éternité, comme devant m'appartenir. Et ce qui m'appartient, je peux le casser : c'est ça le droit de propriété, le droit de détruire ... ad libitum ! Le droit de propriété sur le Van Gogh que j'ai payé trois cent millions, ça n'est pas celui de le mettre à la banque en attendant les jours maigres, ça n'est pas non plus celui de le regarder tout seul, chez moi, en maugréant ou non sur les façons particulières que le peintre avait d'aller au bordel, le rasoir dans la poche et l'oreille aux aguets ... Non, mon véritable droit de propriété sur ce tableau est de pouvoir le brûler, dans ma cheminée, sur un bûcher d'indifférence, avec, dans l'oeil et dans cette mémoire imaginée qui ne se trompe guère car les choses tournent en rond, les critiques d'art de l'époque qui n'ont rien vu du génie de Vincent. Or, moi, je vois et je suis devenu seul à "voir" dans cette pyromanie critique !

Je ne vois pas la pâtée de mon chien parce que je ne mange pas "chien". Ce n'est pas si sûr que ça, d'ailleurs. Dans le confort de mon salaire, de ma quinzaine, de ma paie, de mes émoluments, de mes honoraires (curieuse façon de multiplier le vocabulaire du fric ...), je ne regarde même pas le chien manger. C'est un monde qui m'indiffère. Moi, je suis un homme qui pense et qui mange du sauté de veau, du caviar frais ou du laitage, car le médecin me l'a recommandé. Mais ce système niveleur qui consisterait à me mettre à portée animale, à mesurer l'étendue, le territoire de la faim, de l'hydre jusqu'aux abonnés de la cantine communautaire, à souscrire au garde-manger des mouches tirées à quatre épingles sur la toile d'araignée en me disant : "C'est très bien, je "m'araigne", j'en ai encore pour quatre jours ...", cela, jamais, et pourtant ... Si je meurs de faim, je broute, je dure, je ne pense plus au manger "chien" ou "homme" mais il importe que je "tienne" parce que la société m'a identifié, elle m'a donné un nom, je suis le fils de quelqu'un. Ce n'est pas un droit, la filiation, c'est un état. Un chien qui vole reçoit un coup de pied. Si je vole un pain, on m'enferme. Mon travail donc me vaut de n'être pas aux fers. Il vaut mieux, des heures durant, planter des clous dans l'imbécile planning de la merde prolétarienne que de bayer aux corneilles et, le soir venu, tendre des filets aux "honnêtes" gens et puis aller faire des comptes au commissariat de police. Le contentieux correctionnel que j'évite me fait l'esclave de quelqu'un et, aujourd'hui, d'un être précis : la société anonyme. Je veux dire par là, non pas l'artifice juridique qui met le Capital dans une action cotée en Bourse, mais ces gueules multiples du trottoir et du métro, le Peuple, l'humus sur lequel pousse tous les quatre ou cinq ans ce qu'il est convenu d'appeler le suffrage universel ! Les gens que je ne vois n'existent pas. Si je ne suis pas un bandit c'est parce que le Peuple a voté pour qu'on invente le Procureur de l a République. Le peuple, c'est le fourrier de la tyrannie.

Une psychanalyse de la patrimonialité commencerait par nommer : le droit se parle. Mon patrimoine ne saurait vaincre jamais les prétentions de l'État à me soumettre à ses vues d'expropriation ou l'appréhension d'un voisin arguant d'une servitude de mitoyenneté si je ne produis pas la preuve cadastrale de mon bien. Qu'est-ce que le Mien sinon une convention achetée ? Mon chêne à moi, mon chêne est centenaire. Une vue plus saine m'indiquerait qu'il est à celui qui l'a planté, au chêne père de la libre nature, au paysage dont il est un point mouvant dans la tempête ou statique dans l'été bleu. Qu'il est à lui-même, enfin ! Mon rein est à moi ...

Cette parole qui m'enchaîne au droit patrimonial est une parole de circonstance, une parole admise, écrite au bas de l'acte notarié et transcrite sur le registre des hypothèques, autre certitude d 'authenticité. Le mot est lâché : "authentique". Je m'en remets au parchemin, à l'écriture serve de cette parole inventée par le jeu social.

Nous jouons à nous barricader dans les mots de possession : ma maison, ma femme, mon stylo, ton droit, son chien, Karl Marx n'a pas assez médité sur la conjugaison possessive, la seule à ne jamais craindre les fautes d'orthographe, la conjugaison du mien et du tien. Toute l'Économie Politique repose sur un geste : la main qui livre, la main qui prend. Les théories sont en marge et n'expliquent qu'une certaine psychologie dans la détente de la production.! Les macrodécisions ont des doigts d'acier. Le sien reste plus objectif : le sien est une parole d'attente. Le sien est un bien ignoré du bourgeois et en vitrine pour le gangster. En dehors des normes juridiques - et, singulièrement, des contraintes pénales - le sien perd de son objectivité : il peut devenir mien ou tien. C'est dans une telle perspective langagière qu'il convient d'étudier la psychologie du voleur. Le voleur, sorti du chemin légal, ne prend qu'un bien vacant, et qui est vacant à l'heure de la technique, au moment où l'attirail du fric-frac est mis en oeuvre, au moment du "guet" – ce qui est un travail dur et précis, au même titre qu'un travail sur un objet manufacturé. Le voleur ne prend pas "ses" risques. Il assume sa condition de voleur : il a contre lui la loi et, pour lui, l'anti-loi c'est-à-dire sa loi propre.! Il est significatif que cette loi dite "du milieu" qu'un romantisme sommaire a reléguée dans la mythologie du film policier soit en réalité une façon marginale de dire le droit, aussi, ou plutôt de dire l'anti-droit. Dans le cas précis du "milieu", le code d'honneur est un code du silence. Celui qui parle, qui se met "à table" est passé de l'autre côté. La trahison lui a servi de support pour rentrer dans le rang. Et le rang, c'est une façon d'attendre les décorations ou le règlement de comptes. Au fond, la trahison est une morale du bien-être social, et le bourgeois trahit par omission. Sans situation juridique il n'y a pas de droit. Sans mot pour le nommer il n'y a pas d'arbre. Nous faisons nos chaînes : par la règle, par les mots. J'entends par mot - cela va de soit - l'immédiat concept qui me rive au discours intérieur. Sans le mot "arbre" toute une tranche de ma connaissance s'évanouit : je ne vois plus de forêts, je ne sais plus m'y promener, je perd le feu et, perdant le feu, mon sang se fige, je suis perdu à tout jamais. J'entends bien le désespoir me sonner dans la brume de cette constatation. Je ne parle plus. Je ne vois plus les nids, le recommencement total à chaque fois des mêmes vols, des mêmes cris, des mêmes chants. Sans arbre, où se nicheront les oiseaux ? Quand je les vois voler, pourquoi ne puis-je plus penser au mouvement des ailes, à cette géométrie apprise et que je retrouve dans le vol du corbeau, encore que, croassant, il inquiète les données magiques, apprises elles aussi ?

Quand je vois un corbeau, je retrouve Poë et, ce faisant, les fiches psychanalytiques de Marie Bonaparte, et je me demande quel est celui de deux qu'il fallait mettre à la question. Le corbeau est devenu, pour moi, un fait littéraire et c'est cela que je nomme le désespoir. Je ne sais plus voir le corvidé. Je vois une forme allusive du destin et sa résonance littéraire ou poétique : trois coups portés à la vitre.

L'anarchie, cela vient du dedans. Il n'y a pas de modèle d'anarchie, aucune définition non plus. Définir, c'est s'avouer vaincu d'avance. Définir, c'est arrêter le train qui roule dans la nuit quand il s'écartèle à l'aiguillage. Autant dire qu'on est pressé d'en finir avec l'intelligence de l'événement. C'est par son inaptitude foncière à ne savoir rien définir que l'homme piaffe dans les remarques et la philosophie. Un train à l'aiguillage, c'est un devoir bien fait, c'est de la route honnêtement vendue à moi, passager, acheteur de cette ligne de nuit qui me conduit à X en passant par l'aiguillage Y, bretelle nécessaire mais dont j'ignore la raison déviationniste. On ne me dévie pas de ma route, on me la rend parfaite et sûre. Moi, je ne pense qu'au bruit d'enfer et la peur m'envahit. Je définis l'aiguillage par rapport à mon problème de solitaire roulant. Si je pense au bloc dispensateur de voie libre, j'y pense en imaginant l'homme aux manettes et à la possibilité d'une fausse manœuvre.! Je ne donne pas la définition de l'ingénieur, je ne vois pas la route en coupe où je risquerais de comprendre techniquement la croisée des rails. Je ne sais pas qu'après mon passage - et il est bien question de MON et non pas d'une donnée objective et chiffrée par le trafic - cette soupape se fermera, des bras de fer illuminés de vert se mettront en garde, pour laisser glisser vers un point X, mon semblable, ce "prochain" de la gare que j'ai vu naguère sur le quai, hélant un porteur et s'installant dans le train suiveur, à cinq minutes, ce train suiveur qui me court aux fesses - et j'y pense - et qui trouvera la route libre sur ce chiffre de fer tordu, objet de mon ressentiment. Il n'y a pas que moi dans le monde des trains. Et pourtant, c'est cela qui me retire tout à fait du monde à ce moment précis où - contre toute évidence - je me crois seul, fait comme un rat dans ce véhicule qui, au dépôt, n'est jamais qu'une abstraction de plus fuyant dans la nuit. Dans cette solitude du muscle, je ne me connais et ne me reconnais aucun maître, et voilà que je suis contraint de me solidariser avec le rail, le rail de mon inquiétude et le rail des autres, de tous les autres. J'ai le moyen de m'immoler à cette peur et je n'en ai qu'un, immédiat, auquel je n'ose me rapporter : le signal d'alarme, car au-delà de cette poignée que je crois être de sécurité, il y a un tarif de pénalité, ce nivellement de l'autonomie, un simple avis qui me muselle. Ainsi de l'homme en société : il n'ose jamais tirer le signal, garant de sociabilité. ! Le mot "seul" est chargé de brume, c'est une parole de réflexion, de lumière réfléchie, noire, à peine valide. C'est dans le "seul" que je me retrouve chaque soir après la pause des travaux journaliers et divertissants. Dans la rue, le solitaire est agréé par l'identique, par le monsieur qui marche au-devant et qui lui réfléchit cette lumière particulière qui fait d'un dos commun, courbé, le propre dos du suiveur, de l'attente. Cette solitude viscérale est à la portée de toutes les consciences. Qui n'a dit qu'il se sentait seul dans une foule ? Cliché piteux qui fait de cette foule un creuset de misère mentale. Aussitôt embrigadé, aussitôt muselé, défenestré, tapi dans le lieu commun politique. Il faut des lieux communs aux tyrans qui s'essuient sur le multiple de la sottise. Les tyrans, ce jour, ont beau jeu. Politiquement, la solitude est un non-sens. Il n'y a même pas de quoi faire un solitaire dans l'arsenal démocratique. L'isoloir est une place publique. Cette psychologie du vote secret est un rejet de la confession. On se confesse à un bulletin. L'isoloir, vespasienne sèche, ce couvent du socialisme à l'heure apéritive ... J'enrage à la pensée que des hommes acceptent de s'isoler administrativement autrement que pour uriner. La souveraineté nationale à ce point traquée dans un cabinet municipal, cela monte du fond de mon cœur comme une nausée de principe. Les idées qui sentent, je ne sais rien de plus définitif dans notre condition de Peuple-Roi.

Léo Ferré

vendredi 25 février 2011

RAS-LE-BOL BIEN ORDONNE...

Le texte ci-dessous est issu du journal satirique PAN/PERE UBU. Son grand mérite est de constituer un coup de gueule parfois un poil exagéré mais qui fait du bien.

L'illustration est de Kroll et n'est en rien liée à ce texte. Je la trouvais juste bien à sa place ici.

Ben le Belge

Marre de « votre » Belgique. La Belgique que vous vous acharnez à saloper. Si vous l’aimez tellement, vous pouvez vous y vautrer, comme un porc dans la boue.

SEPT PARLEMENTS !

Car votre bilan est catastrophique. Il y a 50 ans, nous avions un parlement – il y en a SEPT, aujourd’hui. Le citoyen y a-t-il gagné quelque chose ? Rien, zéro, nada. Ah ! Pardon, il y a gagné : la complication des procédures ; le moindre papier doit être soumis à l’approbation d’instances diverses qui se contredisent quand elles ne se tirent pas dans les pattes.

LES REFORMES DE L’ETAT N’INTERESSENT QUE VOUS ! La séparation des Flamands, des Wallons et des Bruxellois résulte-t-elle d’une demande profonde de la population ? PAS LE MOINS DU MONDE ! Le Belge n’est pas demandeur. Vous avez sciemment saboté l’Etat central et, ce faisant, la bonne marche de l’Etat. A votre jeu, le citoyen belge est perdant. Seuls gagnants : les politiciens, dont le nombre a été multiplié par 7 depuis 1950 ; les fonctionnaires, dont le nombre a triplé dans le même temps et qui, pour la plupart, sont issus d’un système quasi-mafieux, qui s’appelle le clientélisme.

VOUS FORMEZ UNE CASTE.

Et une caste coupée des réalités de tous les jours. Tandis que vous imposez des sacrifices à la population, vous augmentez vos revenus, vous multipliez vos pensions et avantages. Le monde politique est le seul secteur où les revenus n’ont jamais été rabotés ; au contraire, ils n’ont fait qu’augmenter dans des proportions que n’ont jamais connues les travailleurs de ce pays.

VOUS SABOTEZ LA SÉCURITÉ.

Grâce à vos régionalisations stupides et aux morcellements des pouvoirs, l’agent de police a disparu de nos quartiers et de nos rues. Aujourd’hui, vous faites semblant d’inventer la « police de proximité ». Vous en savez quelque chose : c’est vous qui l’avez supprimée ! Vous avez les yeux de Chimène pour le sort des malfrats envoyés en prison [quand cela arrive, ce qui n’est plus une règle, par votre faute] mais, vous restez sourds aux revendications des agents de l’Etat. Policiers, gardiens de prison mais, aussi, les pompiers : tous sont victimes de votre mépris et de votre incurie.

VOUS ORGANISEZ L’ISLAMOPHOBIE.

Oui, l’islamophobie, c’est vous les responsables ! Vous avez fait venir des travailleurs étrangers et leurs familles, alors qu’il n’y avait plus de travail pour eux [en gros, depuis les années 1970]. Vous les avez enfermés dans des ghettos. Vous les avez livrés aux religieux extrémistes – on sait très bien que la détresse et la précarité sont les meilleurs moyens d’en livrer les victimes aux « fous de dieu », quel que soit l’origine de ce dieu.

LES RACISTES, C’EST VOUS !

Ce sont bien les politiciens des années 1960 qui ont lancé des slogans tels que « Walen buiten », « Franse ratten, rol uw matten » [rats francophones, roulez vos tapis]. Oui, ces slogans, ce sont des éminences CVP – aujourd’hui, « hommes d’Etat » – qui les crachèrent. Et, on pourrait trouver quelques insultes anti-flamandes des Happart et Moureaux que personne n’oserait adresser à un Congolais ou un Maghrébin. En refusant de réguler l’immigration, vous avez poussé des personnes fragiles dans l’angoisse des lendemains. Comment voulez-vous, qu’abandonnés par les politiques, les travailleurs précaires ne cherchent pas des boucs émissaires ? Et, c’est vous qui jouez aux père et mère La Morale quand vous avez foutu le bordel socioculturel!

VOUS NOUS RUINEZ !

Vous êtes tellement nuls dans la gestion du pays que vous le rendez exsangue. Un seul exemple mais, nous pourrions en donner des dizaines. En ce moment, la dette globale de la Belgique s’élève à 346 milliards 122 millions d’euros [on vous passe les poussières en-dessous des millions !]. Depuis le début de la crise, que vous avez voulue et que alimentez, cette dette a augmenté de 13 milliards ! Jamais on ne vous a entendus proférer le moindre mot à ce propos ! Cela va faire 200 jours que vous vous disputez les bonnes places, sous couvert d’arrangements communautaires, dont le citoyen se fiche comme un poisson d’une pomme. A cause de votre impéritie, la dette de chaque citoyen belge s’élève à quelque 32.000 euros ! Cela fera plaisir aux travailleurs dont vous nivelez les pensions. Et quelle différence avec la Belgique de 1950 qui, avec la Suisse, était le seul pays européen qui n’avait pas de dette extérieure ?


PENDANT CE TEMPS, VOUS VOUS AMUSEZ.

Bien sûr, vous nous accuserez de populisme, de poujadisme et, vos obligés dans la presse de gauche et d’extrême gauche relaieront le message. Cela permet de tuer le débat dans l’œuf. Et cependant… Alors que le pays s’endette, vous passez une journée à célébrer l’anniversaire de Caroline Gennez, la présidente du SP.a ! Dans le domaine des urgences, vous avez le sens des priorités…


VOTRE « CRISE COPERNICIENNE », C’EST DE LA FOUTAISE.

Il est bien évident que BHV, c’est un prétexte. Comme le furent les Fourons, le « carrousel fouronnais » dont plus personne ne parle. Si solution il y a, ce ne sera que partie remise. Il vous faut un os à ronger pour cacher votre incapacité à diriger la Belgique.


La Belgique des gens. Pas « votre » Belgique, celle des gnomes politiques sans vision, sans projet, sans autre plan que la prochaine échéance électorale et la pérennité de votre place et de vos privilèges. Jusqu’à ce que la mort de la Belgique
s’ensuive..!

mardi 9 novembre 2010

L'Enfer est-il exothermique ou endothermique ?

Ci-dessous est la version d'une soi-disant question de chimie donnée à l'université de Montpellier. La réponse d'un étudiant a été si profonde que le professeur l'a partagée avec ses collègues, via internet, et c'est pourquoi nous avons le plaisir de la lire.

L'histoire plaira aux mécréants scientifiques.. Quand aux autres, ...tant pis pour eux, ils ne pourront même pas griller en enfer.

La question bonus était : L'Enfer est il exothermique (évacue de la chaleur) ou endothermique ( absorbe de la chaleur) ? La plupart des étudiants ont exprimé leur croyance en utilisant la loi de Boyle (si un gaz se dilate il se refroidit et inversement) ou ses variantes. Cependant un étudiant eut la réponse suivante:

« Premièrement, nous avons besoin de connaître comment varie la masse de l'enfer avec le temps. Nous avons donc besoin de connaître à quel taux les âmes entrent et sortent de l'enfer. Je pense que nous pouvons sans risque assumer qu'une fois entrée en enfer, l'âme n'y ressortira plus.

Du coup, aucune âme ne sort. De même pour le calcul du nombre d'entrée des âmes en enfer, nous devons regarder le fonctionnement des différentes religions qui existent de par le monde aujourd'hui. La plupart de ces religions affirment que si vous n'êtes pas un membre de leur religion alors vous irez en enfer.

Comme il existe plus d'une religion exprimant cette règle et comme les gens n'appartiennent pas a plus d'une religion, nous pouvons projeter que toutes les âmes vont en enfer.

Maintenant regardons la vitesse de changement de volume de l'enfer parce que la loi de Boyle spécifie que pour que la pression et la température reste identique en enfer, le volume de l'enfer doit se dilater proportionnellement à l'entrée des âmes.

Cela donne deux possibilités :

  • Si l'enfer se dilate à une vitesse moindre que l'entrée des âmes en enfer, alors la température et la pression en enfer augmenteront indéfiniment jusqu'à ce que l'enfer éclate.
  • Si l'enfer se dilate à une vitesse supérieure à la vitesse d'entrée des âmes en enfer, alors la température diminuera jusqu'à ce que l'enfer gèle.

Laquelle choisir ?

Si nous acceptons le postulat que Teresa m'a répondu durant ma première année d'étudiant qu' "Il fera froid en enfer avant que je couche avec toi" et en tenant compte du fait que j'ai couché avec elle la nuit dernière alors l'hypothèse doit être vraie et alors je suis sûr que l'enfer est exothermique et a déjà gelé. Le corollaire de cette théorie c'est que comme l'enfer a déjà gelé, il s'en suit qu'il n'accepte plus aucune âme et du coup qu'il n'existe plus... Laissant ainsi seul le paradis, ainsi prouvant l'existence d'un être divin ce qui explique pourquoi, la nuit dernière, Teresa n'arrêtait pas de crier "oh mon dieu !" »

(ce serait le seul étudiant a voir reçu la note 20/20...)


Tiré du site www.castalie.fr (ici)

vendredi 13 août 2010

Invictus (William Ernest Henley)

Dans les ténèbres qui m’enserrent,
Noires comme un puits où l’on se noie,
Je rend grâce aux dieux quels qu’ils soient,
Pour mon âme invincible et fière,

Dans de cruelles circonstances,
Je n’ai ni gémi ni pleuré,
Meurtri par cette existence,
Je suis debout bien que blessé,

En ce lieu de colère et de pleurs,
Se profile l’ombre de la mort,
Je ne sais ce que me réserve le sort,
Mais je suis et je resterai sans peur,

Aussi étroit soit le chemin,
Nombreux les châtiments infâmes,
Je suis maître de mon destin,
Je suis le capitaine de mon âme.

vendredi 2 juillet 2010

The Prayer of the Selfish Child
(by Shel Sylverstein)

Now I lay me down to sleep
Praying the Lord my soul to keep
If I die before I wake
I pray the Lord my toys to break
So none of the other kids can use 'em
Amen